Sacré

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Paysage d’eau et lieu sacré : Saint-Maurice

Matthaeus Merian, plan à vol d’oiseau de Saint-Maurice, détail d’une planche de la Topographia Helvetiae, Rhaetiae et Valesiae, Universitätsbibliothek Bern, Sammlung Ryhiner, 1642

Passage encaissé, naturel et obligé du Rhône, culte aux nymphes ou source pérenne tels sont les éléments qui contribuent à faire de Saint-Maurice un site d’exception depuis la Préhistoire ! L’eau, très présente dans ce lieu, y revêt une dimension sacrée…

Avant de parcourir le site en question, il convient de déterminer deux termes propres au domaine religieux : diviniser et consacrer. Le premier indique le fait « d’élever au rang des dieux, une personne, un animal ou une chose » et le second de « rendre sacré en plaçant quelqu’un ou quelque chose sous la protection d’une divinité ». Dans certaines religions, les humains, les animaux, les objets et la nature peuvent subir une divinisation ou / et une consécration.
Par exemple, dans le monde romain, le fleuve Tibre, étroitement lié à Rome, apparaît divinisé pour la première fois au IIIe siècle av. J.-C. L’archéologie est riche en témoignages de ce genre surtout dans le domaine de l’épigraphie * et de l’iconographie *. Les éléments naturels comme les montagnes, les fleuves, les rivières, les cols sont souvent invoqués comme des divinités dans le but d’attirer leur bienveillance et leur protection lors de voyages et de traversées périlleuses ; des cultes consacrés à des divinités locales en communion avec la topographie * environnante s’établissent alors durablement.
Riche en informations archéologiques, la ville de St-Maurice suscite de multiples questions sur les divinités antiques et locales qui la protégeaient, en lien avec le Rhône.

Les nymphes d’Agaune
Nymphis sacrum, « (Autel) consacré aux Nymphes  * », telle est l’inscription en latin découverte au début du XXe siècle sur le site du Martolet à St-Maurice et actuellement perdue. Bien que la fonction de ces Nymphes ne soit pas mentionnée, ces dernières sont associées à l’eau, puisque cet élément naturel prédomine sur tout le paysage environnant. La religion gauloise privilégie beaucoup les lieux de culte à proximité de sources ou de cours d’eau ( Barman, 2002 ) qui perdurent durant la période romaine.

Comme ce fut généralement le cas lors de la conversion du monde romain au christianisme, la première église chrétienne de St-Maurice a certainement été édifiée sur un ancien sanctuaire consacré aux Nymphes…

St-Maurice est un exemple très parlant, puisque depuis la préhistoire, une activité humaine est attestée et qu’une source pérenne s’écoule de la paroi rocheuse. Comme ce fut généralement le cas lors de la conversion du monde romain au christianisme, la première église chrétienne de St-Maurice a certainement été édifiée sur un ancien sanctuaire consacré aux Nymphes, placé à proximité de cette source, puisque l’eau revêt un pouvoir sacré et guérisseur très fort. D’ailleurs, il n’est pas rare de découvrir des temples consacrés au dieu Valetudo et à la déesse Hygie, divinités guérisseuses, dans l’ensemble du monde romain.

Acaunus et la pierre
Avant de prendre le nom du chef de la légion thébaine, martyrisé au IVe siècle, St-Maurice était connu sous le nom d’Agaune et plus anciennement sous sa forme latinisée Acaunus. Toutefois, ce terme est d’origine celtique et provient du terme acaunon signifiant « pierre », élément minéral très présent à St-Maurice. Dans un récit composé au début du VIIIe siècle environ, il est écrit : « À cet endroit, le cours du Rhône est tellement resserré par d’immenses rochers qu’il est impossible de passer sans emprunter des ponts de bois. Pourtant, de chaque côté, une plaine est délimitée par les rochers qui la surplombent ; elle est certes modeste, mais les sources qui l’arrosent la rendent agréable ; c’est là qu’épuisés, les hommes de la Légion Thébaine s’arrêtèrent après les épreuves d’un si long trajet » (Chevalley, 2004).

Acaunus et / ou Rhodanus
Une inscription dédiée à plusieurs divinités aquatiques a été découverte à Vienne (Autriche) dans le Danube. Il est intéressant de constater qu’Acaunus est mentionné et est associé à Neptune, aux Nymphes des eaux, à Salacea qui est une divinité celtique des eaux bouillonnantes et peut-être au dieu Danube (l’inscription est à cet endroit fragmentaire). L’historienne Linda de Torrenté propose de considérer Acaunus comme une divinité des rives caillouteuses également à St-Maurice, car le cadre religieux est relativement similaire à celui de Vienne où la présence de l’eau y est prépondérante. Protégée par le dieu, la cité aurait donc pris son nom, comme c’est le cas à Aventicum ( Avenches ) avec la déesse aquatique Aventia ou à Tarniae ( Massongex ) avec le dieu Taranis, deux divinités celtiques. Il serait même envisageable de considérer le fleuve comme Acaunus lui-même. Ainsi ce dernier et Rhodanus ne feraient qu’un seul et même dieu-fleuve à St-Maurice !

Inscription au dieu Sedatus 

La découverte d’une inscription dédiée à Sedatus, dieu celtique « pacificateur » à St-Maurice pourrait également illustrer le besoin de demander l’intervention d’une divinité incarnant la paix pour calmer les eaux périlleuses de Rhodanus-Acaunus. Cela ne témoignerait-il pas d’une première volonté de canaliser le Rhône, non pas techniquement mais par l’invocation aux forces divines ?
« Au dieu Sedatus, Titus Vinelius Vegetinus, ancien duumvir, a offert et consacré ce monument à ses frais ».

Extrait, Montald Constant, Nymphes dansant, Musée royal des Beaux-Arts de Belgique, 1898. Crédit : Jean-Louis Mazieres.

Pour aller plus loin
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→ Sous quel aspect représenterais-tu les Nymphes des eaux ?

Mots clés
Eau, nymphes, source, diviniser, sacré, St-Maurice

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6. Sacré. Paysage d’eau et lieu sacré: Saint-Maurice

Bibliographie

Barman Evelyne, Panorama du phénomène religieux en Valais. Pratiques et croyances de la Préhistoire aux premières traces du christianisme, mémoire en histoire romaine, sous la direction du prof. R. Frei-Stolba à Université de Lausanne, vol. 1 : texte, Lausanne, 2002
Chevalley Eric, La Passion anonyme de S. Maurice et de ses compagnons, Les Échos de St-Maurice, 9, 2004, pp. 19-22
Collart Paul, Inscriptions latines de St-Maurice et du Bas-Valais, Bâle, 1941
Delamarre Xavier, Dictionnaire de la langue gauloise, Paris, 2008, p. 157
De Torrenté Linda, Autour de la signification d’Acaunus (Agaune), Vallesia : bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie, 2006, pp. 301-308

Crédits

  1. Matthaeus Merian, plan à vol d’oiseau de Saint-Maurice, détail d’une planche de la Topographia Helvetiae, Rhaetiae et Valesiae, Universitätsbibliothek Bern, Sammlung Ryhiner, 1642
  2. www.hls-dhs-dss.ch/fr/articles/002774/2021-11-10/
    Inscription au dieu Sedatus, Collart Paul, 1941, p.3.
  3. Extrait, Montald Constant, Nymphes dansant, Musée royal des Beaux-Arts de Belgique, 1898. Crédit : Jean-Louis Mazieres. www.flickr.com/photos/mazanto/33330340038

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