Territoire

10.

L’histoire des Valaisan·e·s et de leur territoire

AEV, AV, 45/7, extrait, acte de délimitation du Rhône entre Berne et le Valais, 1691

Le Valais, enclavé dans les Alpes, possède une topographie * unique qui explique la relation particulière qu’entretiennent les Valaisan∙ne∙s avec leur territoire et le Rhône qui le façonne. Depuis le XIXe siècle, le territoire ne cesse d’évoluer et ses habitant·e·s avec lui.

Le Valais, canton alpin par excellence, a été marqué par des changements économiques et culturels significatifs au cours du XIXe siècle. Auparavant, la vie en Valais est largement axée sur la subsistance. Les communautés locales restent étroitement liées à la nature et dépendent fortement d’elle pour leur survie. Avec le développement économique lié à la révolution industrielle et l’arrivée du tourisme, la relation de l’homme avec son environnement naturel change. Le territoire devient une ressource à exploiter, plutôt qu’un élément essentiel de la vie quotidienne.
Après la défaite du Sonderbund, le canton se voit imposer une Constitution libérale et un Conseil d’État (1848) entièrement radical qui initient le développement économique, social et culturel du canton. Le début du développement industriel du Valais débute entre 1850 et 1890 et avec lui l’arrivée du chemin de fer et la volonté de modernisation de l’agriculture. Cela chamboule définitivement l’économie et la manière dont les Valaisan·ne·s s’approprient leur territoire.

La première correction du Rhône (1863-1894)
Le Rhône, ce fleuve capricieux qui traverse le Valais, était, depuis toujours regardé avec méfiance par les habitant·e·s : leurs déplacements et leurs activités étaient affectés par ses débordements.
Son régime hydrologique * est caractérisé par de grosses fluctuations des débits et une période de basses eaux en hiver et de hautes eaux en été. Historiquement, le Rhône divague librement et rythme la vie de ses riverain∙e∙s en débordant régulièrement, quasiment chaque année. Il modifie constamment les pratiques mais également les frontières communales car son tracé est le garant des limites territoriales. Cette fluctuation est à l’origine de nombreux conflits entre les communes riveraines qui gèrent seules les ouvrages de protection contre le Rhône et les réparations des dommages occasionnés lors des débordements. 1833 marque le début d’une réflexion globale et rationnelle sur l’aménagement du fleuve ; c’est alors qu’est promulguée la première loi cantonale sur « le diguement du Rhône, des rivières, des torrents, et le dessèchement des marais ».
Cependant, les années qui suivent voient des débordements exceptionnels jusqu’à la crue catastrophique de 1860. La quasi-totalité de la plaine valaisanne est inondée lors de cet événement. Le constat est sans appel : le système d’endiguement traditionnel a montré ses limites. Le canton du Valais demande alors une aide technique et financière à la Confédération qui la lui accorde par l’arrêté fédéral du 28 juillet 1863. 1

D’un Rhône « sauvage » composé de nombreux branchements, il s’est mué en un Rhône « dompté »,
canalisé entre des digues de terre et de gravier.

ACV, GC, 728, extrait, plan géométral entre Berne et le Valais qui démontre en rouge le tracé adopté pour le Rhône, 1760

Cette campagne de grands travaux d’aménagement organisés à l’échelle du territoire prend le nom de « corrections ». Son but est de diriger le fleuve et son courant le long de la plaine et de limiter ses débordements sur les cultures et les lignes de chemin de fer. Ces travaux arrivent à point nommé pour un certain nombre de paysan∙ne∙s qui vivent dans une situation précaire suite à des années de mauvaises récoltes successives ( à cette époque, nombre de Valaisan∙ne∙s pauvres choisissent d’ailleurs d’émigrer en Amérique ). Ce chantier titanesque qui dure 30 ans donne ainsi du travail à de nombreuses personnes à travers tout le canton et transforme radicalement le paysage valaisan. D’un Rhône « sauvage » composé de nombreux branchements à travers toute la vallée, il s’est mué en un Rhône « dompté », canalisé entre des digues de terre et de gravier appelées « douves ».

La deuxième correction du Rhône (1936-1961)
Malheureusement, de nouvelles inondations dévastatrices ont lieu entre 1935 et 1948. La première correction n’a pas eu les résultats attendus : le cours d’eau se montre incapable de charrier jusqu’au lac Léman les millions de mètres cubes de gravier que lui amènent ses affluents, comme espéré par les ingénieurs du XIXe siècle. Le lit du fleuve grimpe, malgré les dragages * effectués. La situation devient alarmante. Le gouvernement décide à nouveau de corriger le Rhône et d’augmenter la puissance de charriage des sédiments. Son lit est encore rétréci et le paysage valaisan se transforme de nouveau. Entretemps, le canton s’est industrialisé et de nombreux villages et villes peuvent alors développer leurs quartiers industriels et résidentiels le long du fleuve. Si tu observes des photographies d’époque et la vallée du Rhône aujourd’hui, la transformation est surprenante : le Rhône, auparavant libre est maintenant contenu entre deux digues, les champs ont cédé leur place à des usines, fabriques, magasins et lieux d’habitations.

La catastrophe
En l’an 2000, c’est le drame, le Rhône sort de son lit et plusieurs digues se rompent. On atteint presque le niveau de 1860. C’est la crue du siècle. Les espaces doivent être à nouveau sécurisés. Les débits maximums sont revus à la hausse. Le Rhône au tracé exigu et bien à sa place n’est plus. La plaine tout entière doit répondre à des impératifs plus complexes. Une 3e correction est ainsi planifiée : soumise à de nombreuses controverses, elle devra allier sécurité, mobilité, environnement et bénéfice sociétal.
Cependant, à la différence d’autres régions rhodaniennes *, les abords du fleuve ne sont toujours pas familiers aux habitant.e.s du Valais. Un des enjeux de la 3e correction qui est en cours, sera certainement d’en faire un lieu de vie et de détente afin que tou∙te∙s puissent se (ré)-approprier ses berges.

Pour aller plus loin
→ Connais-tu une personne valaisanne dont le métier est impacté par le Rhône ?

Mots clés
Agriculture, inondations, corrections, industrialisation, aménagement du territoire

Fiche PDF imprimable à télécharger
10. Territoire. L’histoire des Valaisan·e·s et de leur territoire

Bibliographie

  1. Dominique Baud, Jonathan Bussard et Emmanuel Reynard, La correction du Rhône valaisan au XIXe siècle : un aménagement à fort impact environnemental, Presses universitaires de Rennes, 2018

Crédits

  1. AEV, AV, 45/7, extrait, acte de délimitation du Rhône entre Berne et le Valais, 1691
  2. ACV, GC, 728, extrait, plan géométral entre Berne et le Valais qui démontre en rouge le tracé adopté pour le Rhône, 1760
  3. Laurence Piaget-Dubuis, 2022

Articles recommandés